Lettre du 13 novembre 1859
Ma chère enfant,
Je suis bien peinée de l’état de notre petite sœur Saint Jérôme. J’aurais voulu partir aussitôt la réception de votre lettre pour aller la chercher et la ramener ici. Je n’avais pas de cheval pour la voiture ; en ce moment, je trouve la saison, ou plutôt la température trop rude pour oser la mettre en voyage pour une route de quinze lieues. Dès que le temps s’adoucira, je ferai partir pour saint Aubin. Je ne sais pas si j’irai moi-même, nos sœurs ne me laissent pas en paix décider cette question, elles ne veulent absolument pas que je m’absente d’ici à quelque temps ; il faudra peut-être bien que je leur donne gain de cause et je ne puis rien promettre. « Nous sommes attentives aux peines et aux joies de chacune. Nous nous soutenons mutuellement dans l’épreuve. Nous restons proches des sœurs malades et âgées ; nous les accompagnons… ( RV2 p.20)
Vous ne vous lassez pas de donner vos soins à notre chère malade, je le comprends ; votre bon cœur vous y porte et la sainteté de cette bonne âme vous y attache : quels exemples de patience, de soumission, de résignation et d’abandon, cette sainte fille nous donne ! Qu’on est heureux d’avoir de tels modèles devant les yeux de temps en temps. Si le spectacle de leur dépérissement nous afflige et nous annonce de douloureux sacrifices, le spectacle de leurs vertus porte aussi la lumière dans nos âmes et nous fait voir combien le Bon Dieu est bon pour ceux qui l’aiment ; Il les console ; Il les soutient, Il les fortifie contre les misères qui les assaillent, et leur fait trouver le calme et le bonheur dans les positions les plus affligeantes pour la nature. Oh ! ma fille, que nous avons un bon Maître !…
Portez les fardeaux les uns des autres » (Ga6,2), surtout quand la maladie, le handicap, le grand âge nous atteignent, contribue à resserrer les liens entre nous et nous fait grandir dans la Charité » (R.V1 p.36) « La parole d’admiration… avoir ce souci est une attitude à développer dans la vie religieuse en écho avec ce matin de Pâques où la mort a été fracturée » Texte de J-Claude Lavigne p.4
Il me semble, à votre style, que vous avez quelque peine que vous ne me dites pas. Oubliez-vous chère enfant, que votre Mère est un instrument que ce bon Père ne dédaigne pas d’employer souvent à consoler ses enfants ? Dites-moi donc si vous avez d’autre peine que celle de voir souffrir notre chère St Jérôme. Je tâcherai d’y porter remède. Vous m’affligeriez si vous me cachiez quelque chose.
Nous ne saurions tout apprendre par nous –mêmes. Nous avons besoin de l’expérience des autres. Il est important de pouvoir échanger entre nous et avec d’autres sur ce qui fait notre vie quotidienne et notre vie de foi…(R.Vie2 p.6)
J’aime à croire que je me trompe et que vous n’avez rien de plus que les misères inévitables pour tous, dans la vie ; mais quoiqu’il en soit , n’oubliez jamais , que les petites comme les grandes croix, doivent tourner à la gloire de Dieu et à notre salut ; et qu’elles sont le trésor avec lequel nous achetons le ciel. Leur foi est simple et « la règle ne fait de leur vie que la vie de pieuses et laborieuses chrétiennes qu’anime le désir de la Gloire de Dieu » (RV1 p. 8)
Au revoir et peut-être à bientôt, chère enfant. Priez pour votre Mère qui ne vous oublie jamais. Nos sœurs vous assurent de leur affection bien vive mais moins que celle de votre dévouée
Mère saint Félix
Mille bénédictions à vous trois. Spécialement à notre chère malade. Constance est bien . Madame Sœur Sainte Clotilde de l’ Immaculée Conception, supérieure – St Aubin d’Aubigné
Refléter sur nos visages la Gloire du Seigneur, nous laisser transfigurer en lui, seul l’Esprit peut accomplir cette oeuvre de grâce ( RV1 p. 14)